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Le Blog de Glyx
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15 mai 2007

M. William.

  M. William était un employé modèle. Simple, discret, efficace et loyal envers son employeur. M. William était un petit homme à l’aspect strict, toujours bien habillé et bien chaussé, propre comme un sou neuf. Bref, M. William était quelqu’un de bien singulier et quelconque en même temps.
Ce matin de printemps, ça n’allait pas pour M. William. Non, ça n’allait vraiment pas, mais il ne savait pas quoi exactement, il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus et cela avait le don de l’exaspéré au plus haut point. Il se sentait fatigué, ou non, plutôt las, enfin, quelque chose comme ça, se disait-il. Cette imprécision lexicale l’agaçait encore plus. « Il ne manquerait plus que je sois malade, pensa-t-il, comme si j’en avais le temps ». Il ruminait cette pensée quand il arriva enfin devant son petit bureau. Il posa son chapeau, retira sa veste et s’attela à sa tâche. Ses collègues commencèrent à arriver (il mettait un point d’honneur à arriver le premier chaque matin). Il ne s’étonna pas de l’absence de salutations à son égard, car bien qu’il travaillât au deuxième étage d’un immeuble parisien avec une dizaine de personnes autour de lui, personne ne se souciait de lui, ce qui lui convenait bien. Ou plutôt, car le verbe « se soucier » n’est pas le plus exact, ce que M. William n’apprécierait pas, il passait inaperçu, comme s’il faisait partie du mobilier. Chacun le voit comme s’il n’avait jamais bougé, et qu’il ne bougerait jamais. Bien sûr, il donnait son obole lors de la mort d’un collègue, d’un départ en retraite, ou même quelque soit l’occasion. M. William était d’une nature généreuse et peu rancunière.
Mais aujourd’hui, il se sentait comme transparent. Quelques employés avaient jeté des coups d’œil vers son bureau, et quelques chuchotements commençaient à se faire entendre. M. William ne les écoutait pas, il devait resté concentré sur son travail, il avait des rapports à écrire et des comptes rendus à lire, de la paperasse à transmettre au service compétent. Quand il rentra chez lui le soir venu (il était parti en dernier comme à son habitude), il se sentait toujours aussi las. Il lui sembla qu’il s’était endormi sitôt arrivé, car il ne conservait aucun souvenir de ce qu’il avait fait dans la soirée.
Le lendemain, et les jours qui suivirent, la fatigue ne l’avait pas quitté. Cela l’agaçait au plus haut point, surtout qu’il n’arrivait pas à trouver un juste terme pour qualifier son état. Ses collègues murmuraient de plus en plus et M. William voyait bien que l’on parlait de lui. « Je dois avoir une tête affreuse » se dit-il en voyant leurs regards. « J’irai demain chez le médecin » promettait-il chaque jour, et chaque jour il revenait travailler, car il n’avait pas le temps.
Le premier lundi de mai, il arriva au bureau, toujours sans souvenirs de ce qu’il avait fait la veille. Il avait l’habitude maintenant. « J’ai dû dormir tout ce temps, se disait-il, pas étonnant avec cette fatigue ». Il s’assit à son bureau, et se surprit à penser à prendre des vacances : « Peut-être aller se reposer dans le Sud, sortir de Paris. Cette vie citadine ne me réussit pas, apparemment . » Du coin de l’œil, il vit un de ses collègues s’avancer avec la boîte de fer qui servait pour les collectes. D’après les murmures qu’il entendait, M. William en déduisit qu’il s’agissait de donner pour l’enterrement de quelqu’un du bureau. Il sortit un gros billet de sa poche, puis, après réflexion, il se dit que deux ne lui coûteraient pas plus cher et seraient utiles. « Le pauvre…on l’a retrouvé hier…il n’avait personne en fait… » entendait-il faiblement. « Peut-être est-ce M. Latornet, pensa-t-il, ou bien M. Arnaux. Mais quelques minutes plus tard, ces deux messieurs arrivaient à leur tour. Il se remit au travail, car le temps lui faisait défaut, et la collecte passerai par lui tôt ou tard, comme toujours. 
Le soir arriva bien vite, et enfin la boîte de fer fut posée sur le bureau de M. William. Celui-ci allait déposer sa contribution quand il leva la tête et remarqua que l’homme devant lui le fixait. Ou plutôt, se fit-il la réflexion, il fixait sa chaise. « Ce ne sera plus pareil sans lui , dit l’homme. Il nous manquera ; le travail c’était sa vie finalement. ». Tout le monde hocha la tête tristement, et M. William allait rajouter un mot gentil pour l’anonyme défunt, quand son collègue reprit : « Pauvre William, ça l’aura tué, en fin de compte ».

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